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Moteurs et freins de l’Intelligence Collective dans les organisations

Posted by Yaël Guillon on 02/12/19 12:21
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Extrait du livre blanc sur l’intelligence collective dont Imfusio a été co-auteur en 2013

Pour quelles raisons la mise en œuvre et la pratique de l’Intelligence Collective ne sont-elles pas plus répandues dans les organisations ?

Tout praticien de l’Intelligence Collective en entreprise vit des moments apprenants formidables. L’impact des pratiques sur les personnes et leur quotidien est visible, bénéfique et produit performance et bien-être. Se pose dès lors une question de fond : qu’est-ce qui explique que les entreprises persistent dans des fonctionnements qui apparaissent aux spécialistes comme des aberrations ?

Commençons par étudier les forces de l’intelligence collective comme outil au service du management. L’intelligence collective n’est ni un dogme ni une philosophie. Elle est avant tout utilitaire, un moyen au service des collectifs. Associée à une grande variété de tech- niques et d’exercices, existantes et à inventer, elle devient un outil pour atteindre ou dépasser des objectifs, réaliser des projets, innover, inventer, aboutir. En ce sens, l’Intelligence Collective n’est pas une fin en soi, mais plutôt une autre palette de possibles pour les organisations.

Malgré cela, elle se réduit, dans le meilleur des cas, à un outil de teambuilding sympathique, ou à des ateliers créatifs pour les séminaires… Dans le pire des cas, elle est associée à des dérives ésotériques, voire sectaires. Mais elle reste trop rarement associée à la co-création du devenir des organisations ou à l’élaboration de stratégies d’avenir.

 

Repartons donc des fondamentaux de l’Intelligence Collective pour trouver quelques éléments de réponse.

Partager le sens

L’un des principaux défis de l’action collective est de s’assurer que les efforts de chacun vont dans la même direction. Toute pratique collective se bâtit sur une colonne vertébrale claire et partagée par tous. Cet axe commun porte plusieurs noms selon les cas : purpose en anglais, intention, raison d’être, enjeux, objectifs communs, vision partagée… Il s’agit, quelle qu’en soit l’expression, du pourquoi collectif, qui définit une direction pour les actions, mais sans présumer des chemins possibles.

Dialoguer… et donc écouter

Que ce soit pour faire émerger ce sens partagé ou pour œuvrer à son service, l’une des caractéristiques de l’Intelligence Collective est la mise en place d’un dialogue réel entre les membres du groupe.

Pour ce faire, il convient de créer un espace-temps défini où le collectif assemblé décide de fonctionner entre pairs, dans une dynamique hétérarchique temporaire. La dynamique s’appuie sur le principe primus inter pares (premier parmi les pairs), qui signifie que le ou les supérieurs, sans se voir destitués, acceptent de ne pas exercer le pouvoir associé à leur position.

Il n’y a pas de dialogue sans écoute, sans attention apportée à ce qui est dit. Otto Scharmer (14), décrit 4 niveaux d’écoute. Les deux premiers, le téléchargement et l’écoute factuelle, restent tournés vers soi. Celui qui écoute filtre ce qu’il entend à l’aune de ses propres repères. Les deux suivants, l’écoute empathique et l’écoute générative, sont ceux où l’attention est portée au locuteur, à l’émetteur. L’écoutant se met au diapason de l’autre, s’imagine à sa place. Comme si lors d’un échange en face à face, on décidait de se mettre côte à côte pour mieux se comprendre en regardant dans la même direction. Ces deux derniers niveaux sont ceux que visent les dynamiques d’Intelligence Collective : le débat, généralement confrontation de points de vue collective- ment peu profitable — pour ne pas dire stérile — n’est ni interdit, ni éludé, mais naturellement, il devient inutile, sans objet. Des débats naissent les confrontations et il est difficile de s’affronter lorsqu’on est côte à côte.

L’écoute permet d’entrer dans le champ réflexif de l’autre, qui pourra faire de même en écoutant à son tour : un niveau de dialogue peu commun se met en place. En lâchant le besoin de convaincre et justifier, la vision s’élargit sur les enjeux partagés, comme si on passait d’une vision en longue-vue à une vision panoramique. On multiplie le croisement des interfaces de re- présentation hétérogènes : les idées neuves, les innovations, les résolutions de problèmes émergent de ces zones de frottement : c’est la zone des « Eurêka ».

Être agile et adaptable, donc innover

L’expérience montre que la vision, le dialogue et l’écoute génèrent des zones d’innovation. Réunis, ils forment un terreau fertile pour générer agilité et adaptabilité collective. Cependant, pour atteindre cette capacité d’adaptation collective, c’est la posture managériale qu’il s’agit de travailler. Cette posture est clé pour la diffusion de l’Intelligence Collective dans l’organisation. Et elle concerne tout le monde, des dirigeants aux subalternes. L’impact peut être très fort : en développant la posture managériale qui favorise l’émergence de l’Intelligence Collective dans un groupe ou une organisation, le leader rend possible des capacités de pro-action et de mobilisation inédites.

Potentiellement, un corps social aligné, qui comprend et s’est approprié la vi- sion et les missions de l’organisation, va pouvoir s’engager vers le succès collectif puisqu’il s’appuie sur le sens. Il aura une grande capacité d’écoute de l’interne et de son écosystème. Et les sources d’innovation, de solutions ou de réponses aux changements du marché sont infiniment plus importantes que dans un système pyramidal car elles sont distribuées sur tous les individus qui le composent, au lieu de peser sur un groupe restreint de dirigeants. Le changement devient un atout, un moyen de différentiation accélérée et non plus un risque pour l’organisation.

Rendre possible un dialogue entre des parties prenantes hétérogènes pour générer des solutions inédites, voilà une prouesse accessible par l’Intelligence Collective. Dans un environnement économique qui a placé l’innovation comme fer de lance pour traverser la crise économique, on serait en droit d’imaginer que politiques et dirigeants d’entreprise se jettent sur les pratiques de l’Intelligence Collective. Et pourtant…

 
 

Quels sont les freins à l’Intelligence Collective dans nos organisations ?

Penchons-nous brièvement sur le management tel qu’il s’est développé, particulièrement en France. Dès 1960, Douglas McGregor théorisait sur le management par le contrôle (15). Selon lui théories X et Y s’opposent, la première rassemblant toutes les caractéristiques des entreprises pyramidales, qui font du « reporting » la pierre angulaire de leur système. Ce besoin de contrôle managérial trouve sa source dans la défiance vis-à-vis du corps social de l’organisation : défiance dans sa capacité à se mobiliser, à respecter les impératifs de production.

Mode managérial qui n’a jamais été vraiment remis en cause : les salariés n’ayant pas de motivation intrinsèque pour faire leur travail, il faut donc manier carotte et bâton pour s’assurer de leur implication et productivité. Contrôle, « reporting » et récompenses financières deviennent les outils principaux (pour ne pas dire les seuls) du management.

La posture managériale favorisant l’Intelligence Collective requiert ainsi une révolution copernicienne. Elle prend la confiance comme fondement et croit en la capacité de chacun pour trouver une motivation intrinsèque (qui lui appartient en propre), parce qu’il va adhérer au sens proposé par l’organisation. La mise en place d’une telle posture est donc en très forte contradiction avec les principes managériaux acquis et généralement acceptés tant par les managers que par les salariés. Et pourtant, McGregor nous le dit :

Derrière chaque décision de commandement ou d’action, il y a des suppositions implicites sur la nature humaine et le comportement des hommes. »

Le développement de l’Intelligence Collective dans les organisations est donc freiné aujourd’hui par une culture managériale qui va à contre-sens des dynamiques collectives. On comprend mieux la difficulté de diffusion et de mise en pratique de l’Intelligence Collective : la culture touche aux valeurs, et transformer une culture est complexe et prend du temps.

Pourquoi cela ne va pas durer…

Il y a cependant de quoi être optimiste sur les évolutions à venir dans les pratiques managériales. Le contexte social évolue très vite : les réseaux sociaux changent profondément les modes relationnels. Les digital natives vont faire leur apparition sur le marché du travail à partir de 2017. Leurs habitudes relationnelles vont bouleverser les rapports hiérarchiques dans les organisations et cette tendance ira en s’amplifiant avec les années. Les esprits évoluent également : au niveau sociétal, les principes de partage et de collaboration sont en plein essor. Financement participatif, covoiturage, partage de biens entre particuliers, achats collectifs… L’économie collaborative se met en place dans la société civile et repose sur une autre façon de consommer et de dialoguer. Ces changements auront inévitablement un impact sur les organisations à terme.

Enfin, la pratique de l’Intelligence Collective, par ses bénéfices, a un effet viral. Elle apporte du plaisir, du bien-être, de l’efficacité. Elle favorise la reconnaissance, valorise individus et les collectifs, et est vécue comme naturelle dans sa mise en œuvre. Sa diffusion va suivre une progression exponentielle. Nous n’en sommes qu’aux prémisses.

Par Yaël Guillon, Imfusio, 2013


(14) O. Scharmer, Théorie U, Diriger à partir du futur émergent, Pearson Educa- tion France, 2010

(15) Douglas McGregor, La dimension humaine de l’entreprise, Gauthier Villars, 1960 (épuisé)

Topics: Retour d'expérience, Inspiration

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