Quand j’ai commencé ma carrière chez Imfusio, en 2013, le monde économique parlait bien d’innovation et de numérique, un peu d’intelligence collective, quasiment pas des entreprises libérées.
Je mettais les mains dans le cambouis d’un métier émergent : facilitatrice de transformations dans les organisations. J’apprenais de nouvelles postures et pratiques de collaboration, à rebours de ce qui m’avait été enseigné dans une prestigieuse école de management. Si les premiers clients que j’accompagnais pensaient alors “ateliers”, les clients actuels pensent “démarche”.
Imfusio m’offrait alors un environnement bienveillant et stimulant, mais je n’imaginais pas que 5 ans plus tard, nous serions à ce point une entreprise co-conduite, transparente, mue par une raison d’être puissante, chacun choisissant librement ses contributions, sa rémunération, sa gestion du temps, dans un climat de cohésion et de respect. Je n’imaginais pas non plus réaliser un tel développement personnel en miroir du développement collectif.
En 5 ans, j’ai vécu une triple évolution :
- de l’importance et de la notoriété des enjeux de transformation culturelle dans les organisations,
- de l’ampleur des réalisations et de la vie interne de Imfusio, entreprise libérée qui accompagne des entreprises qui se libèrent,
- et de moi-même.
J’en tire à ce stade 5 grands apprentissages, avec fierté et humilité.
Rien n’arrive par hasard.
Esotérisme ? Non, dynamique des systèmes, qui permet de comprendre comment, dans chaque organisation, chaque groupe humain, tout est connecté dans le temps et dans l’espace. Les éléments de nos systèmes humains et les énergies qui y circulent sont déterminants.
Frédéric Laloux ne dit pas autre chose quand il dit que “le niveau de conscience d’une organisation ne peut pas dépasser celui de son dirigeant”. C’est en se libérant soi-même que l’on rend service au système dans son ensemble, c’est-à-dire aux autres.
Cela commence par accueillir les choses comme elles sont, apprendre à ne pas (trop) juger, interpréter, rationaliser. Apprivoiser les forces qui nous dépassent et la performance de l’irrationnel. Prendre soin de “pourquoi” nous faisons quelque chose : plus nos intentions sont justes, plus les résultats sont positivement surprenants.
Dans la vie d’une entreprise libérée, ce sont ces moments de grâce où l’on dialogue avec ses collègues sur des questions épineuses, en s’affranchissant de toute arrière-pensée, pour aboutir à une solution efficace et émouvante, que personne n’aurait pu imaginer tout seul.
Autant d’expériences qui ne peuvent pas vraiment être décrites, mais seulement vécues.
Tout le monde aime apprendre, mais pas forcément au moment où cela se produit.
Il est de bon ton, aujourd’hui dans les organisations, de parler de “test & learn”, de “droit à l’erreur” qui permettent de progresser et même de transformer ses échecs en atouts. En théorie, c’est super. En pratique, au moment où se produit l’erreur, on peut souffrir, avoir honte, se sentir incompétent, être frustré, ressentir de l’injustice. Il faut alors se souvenir qu’apprendre est toujours positif, mais pas toujours agréable ! Durant les 5 dernières années, il m’est arrivé de me tromper et de mal faire, auprès d’un client ou auprès de mes collègues.
Ai-je immédiatement sauté de joie à cette occasion de m’améliorer ? Pas vraiment. Apprendre de ses erreurs est un processus qui implique déjà de vivre, de reconnaître, d’assumer et d’accepter de décortiquer ses ratés, sans avoir l’assurance que l’ensemble des parties prenantes en feront de même.
Regarder en face ses propres blocages, ses propres faiblesses, c’est accepter sa vulnérabilité. Cela sonne comme la mission d’une vie entière !
Et si être fort, c’était chérir le faible en soi ? Je commence à comprendre qu’on n’apprend vraiment (au sens profond du terme) qu’en vivant des difficultés.
Les réponses viennent forcément de l’intérieur.
Aucun coach, aucune méthode ne peuvent vous transformer à votre place. Implacable et merveilleuse vérité à se répéter chaque matin en se brossant les dents : on ne motive personne, les gens se motivent par eux-mêmes.
Chaque personne, chaque organisation étant unique, il n’existe aucune réponse toute faite, aucune méthode sur catalogue, aucun intervenant providentiel qui soient en eux-mêmes vitaux pour réussir une transformation d’organisation. J’affirme que si vous êtes dans le cas contraire (“sans cet outil, sans ce coach, notre transformation tombe à l’eau”), c’est que vous avez occulté une partie du sujet.
Bien sûr, il y a des ressources, des professionnels aguerris, des exemples inspirants, des mentors pour vous guider et vous outiller sur ce chemin. Et heureusement ! Mais chaque personne est la seule à pouvoir décider de changer sa vision, ses pensées et ses actes. Il faut donc, d’une part, prendre le temps de s’interroger sur ses motivations profondes et ses besoins d’accompagnement au démarrage d’une transformation ; d’autre part, nourrir encore et encore la confiance en soi et en les autres. Nous transformer : yes we can !
Prendre le temps, ça veut dire ce que ça veut dire.
Chez Imfusio, nous disons souvent qu’il faut “prendre le temps d’aller vite”. Mais le temps est une notion très relative, surtout en entreprise. La vie des entreprises aujourd’hui, dans une société mondialisée, digitalisée, avide de disruption, s’accommode mal de la patience : presque un gros mot ! Mais je crois qu’aucune transformation culturelle et managériale profonde, systémique, ne prend moins de quelques années. Et par “quelques années”, j’entends plutôt une décennie, que 2 à 3 ans.
Citons Leroy Merlin France, entreprise à l’ADN profondément humain, qui a entrepris de repenser ses modes d’innovation et de management dès 2010, alors qu’elle était déjà un leader prospère. Elle continue encore aujourd’hui. Que dire des entreprises qui veulent, ou doivent, se transformer à marche forcée pour survivre ? Sans compter qu’il existe des organisations plus lentes que d’autres à se transformer, ainsi que des moments d’accélération et des moments de freinage.
Le vrai “bonheur au travail” n’est pas une question de plaisir.
La mode du “bonheur au travail” me gêne car ses manifestations sont souvent associé à quelque chose de ludique (sorties…) ou de relaxant (massages…), qui procure du plaisir. Quelles différences entre bonheur et plaisir ?
Le neuroendocrinologue américain Robert Lustig décrypte notamment : “Le plaisir est de courte durée, le bonheur de longue durée ; le plaisir est viscéral, le bonheur est spirituel ; le plaisir s’obtient en prenant, le bonheur a plutôt à voir avec donner ; le plaisir peut s’obtenir seul, le bonheur est généralement atteint au sein d’un groupe social”.
Pour moi, le vrai “bonheur au travail”, c’est évoluer dans un environnement où l’on est accepté et aimé pour ce que l’on est, connaître et cultiver le sens de notre travail. C’est beaucoup plus profond et plus subtil que d’être dans une entreprise conviviale qui se soucie de notre confort. Ce “bonheur au travail” peut alors tout à fait cohabiter avec des moments de déplaisir, car ce sont des niveaux différents dans notre rapport au monde.
Une entreprise libérée saine crée un cadre collectif propice à ce bonheur, mais chaque individu garde son libre arbitre et son unicité. Enfin, souvenons-nous toujours qu’il n’y a pas que le travail (même en entreprise libérée) dans la vie !
Et vous, quels sont vos grands enseignements des 5 dernières années ?